La coopération, outil emblématique de la pratique en Aikido
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- Créé le vendredi 6 juin 2014 19:00
La coopération est une notion souvent décriée car mal comprise. Pourtant son utilisation judicieuse est un outil précieux dans la recherche de l'Aiki. Philippe Grangé l'a compris au contact de maîtres tels que Yamaguchi Seïgo. Il nous livre ici quelques clés permettant de coopérer sans tomber dans la connivence.
En principe, la pratique en opposition n’existe pas en Aikido. Elle apparait pourtant parfois, et on observe alors sur les tatamis uke qui résiste à tori, et tori qui cherche à tordre le bras de uke, ou à le projecter avec force malgré sa résistance. Pour s’imposer, on délaisse alors les modes de pratiques les plus subtils, or ce sont justement ceux-ci qui permettent de faire le lien entre la pratique et la philosophic de l'aikido
La coopération pendant la pratique conduit à une étude plus approfondie, qui crée un espace actif de recherche et de progression sans esprit de rivalité. Dans cette situation, il n’y a ni vainqueur ni vaincu. La recherche du gain ayant disparu, on est en mesure de focaliser son attention plus profondément sur la maniére de guider et contrôler uke sans que cela soit une contrainte pour lui.Toute notre concentration peut se porter sur la manière de projeter, d’immobiliser uke sans lui donner envie de réagir contre nous.
Car c’est bien de cela dont il s’agit en Aikido: faire en sorte que notre action sur uke ne soit pas ressentie par lui comme une contrainte ou une menace, mais comme une prolongation naturelle de son attaque. Faire en sorte que notre action ne génére pas de tension de la part d’uke !
Il faut insister sur cette notion trés importante : la coopération. Lors de la pratique, les partenaires ne s’opposent pas mais coopérent dans le but d’aller toujours plus loin ! Grâce à cette "Voie" , les pratiquants peuvent, petit à petit, débarrasser leur esprit du calcul qui ne fait que créer des être artificiels. En progressant, le corps répond d’une manière de plus en plus naturelle. L’intellect prend une part de moins en moins importante. C’est pour cettce raison que le mode de fonctionnement retenu pour la pratique de l’Aikido est la coopération. Il est recommandé de pratiquer sans s’opposer au partenaire. Uke n’essaie ni d’abattre tori, ni de l’empêcher de réaliser ses techniques. De même, tori projette ou contrôle uke en respectant l’intégrité de celui-ci. De cette maniére, ils peuvent développer de grandes capacités car ils ne se génent pas l’un l’autre mais s’entraident.
Une différence entre uke(受け) et tori(取り)
A ce propos, il faut comprendre qu’il y a une différence au niveau de l’esprit, entre les "rôles" de uke et celui tori. Tori, pendant l’exécution de la technique, doit s’efforcer de garder "un esprit martial", et développer de nombreuses idées comme des changements d’angles, de directions, les atémis, etc... Uke au contraire, s’il méne sa premiére attaque avec détermination, dès le premier contact, abandonne tout esprit de contre, et se contents de suivre l’ action de tori du mieux qu’il le peut en lui fournissant de la matière. S’il n’en était pas ainsi il y aurait obligatoirement confrontation, et la pratique de l’Aikido ne serait plus possible.
Il me parait important de souligner cet aspect de la pratique qui est, d’après ce que je peux observer, loin d’être clair pour la majorité des pratiquants bien qu’ils en suivent les règles plus ou moins consciemment.
Il ne faut néanmoins pas confondre coopération et connivence. Il est souvent dit que les pratiquants d’Aikido se laissent projeter par connivence. Il est dit aussi que c’est le plaisir de chuter qui prime sur tout le reste. Qu’en fait l'Aikido ne repose pas sur la Technique mais seulement sur le plaisir de suivre et chuter. En réalité, ce n’est pas cela. L’Aikido, ce n’est pas tordre les bras ou projeter en force, mais ce n’est pas non plus chuter pour chuter, seulement pour se faire plaisir. La réalisation des techniques passe par un travail très rigoureux de connexion. L’attaque doit être franche, sans excès d’aucune sorte. Le pratiquant doit veiller à utiliser les principes. Alors, il y a vraiment un échange martial, mais que tout le monde, jeunes et moins jeunes, hornmes et femmes, peut pratiquer car il repose sur des principes de la dynamique des forces.
C’est justement quand la pratique s’appuie sur ces principes précis que les sensations deviennent agréables et bénéfiques pour la santé physique et mentale.
Katatadori tenkan | |
Uke saisit fermement le poignet de tori en collant sa paume, ce qui est une bonne chose pour garder le contact. Mais quand tori pivote, sans tenir compte de la direction dans laquelle celui-ci bouge, uke s'assoit. Ce qui rompt bien évidemment la connexion de centre à centre. La main saisit mais le centre ne suit pas. Cette façon de saisir n'est pas correcte. |
Uke saisit fermement le poignet de tori en collant sa paume. Quand tori pivote, uke ne change rien à sa saisie. Uke saisit tori avec la même intention tout au long de l'action, il est alors emmené vers l'avant. Cette façon de saisir est correcte. |
Morote dori | |||
Uke saisit avec une action dirigée vers le bas, il ne saisit pas le centre de tori. Cette façon de saisir n'est pas correcte. | Uke saisit avec une action dirigée vers le côté intérieur de tori, il ne saisit pas sont centre. Cette façon de saisir n'est pas correcte. | Uke saisit vers le centre de tori, ce qui est une bonne chose. Mais il pousse, et en pliant le bras de tori, perd la connexion. Cette façon de saisir n'est pas correcte. | Uke saisit l'ensemble du corps de tori, et non seulement le bras. Tori est déséquilibré s'il n'agit pas. Cette façon de saisir est correcte. |
Uke, des exigences pour une pratique riche et fructueuse
Une des principales, et en tout les cas la plus intéressante particularité de l'AIkido, c'est la recherche de la connexion avec le partenaire, d'une profondeur que le débutant ou le profane est incapable d'imaginer. c'est le trésor de l'Aikido. Cette connexion (appelée Aiki dans certains arts martiaux japonais, et plus spécifiquement en Aikido), est recherchée par tori, mais aussi par uke à des degrés différents comme nous l'avons vu ci-dessus.
Une pratique qui élève de manière significative le niveau technique de l'Aiki, dépend en premier lieu de uke, puisque c'est lui qui, en tant qu'attaquant, initie la premiere action. Le rôle de uke est donc très important. C'est la raison pour laquelle dans les écoles d'armes japonaises, celui qui attaque est le plus expérimenté.
Voici quelques exigences à respecter par uke
1 - Exigences d'ordre général
Uke ne doit ni figer son corps, ni bloquer l’action de tori. Il me doit pas utiliser une force excessive (fait partie des quelques rares recommandations inscrites à l'entrée de l'Alkikai pour la pratique). Uke ne doit pas repousser tori, par exemple, en tendant les bras, en tendant les jambes, etc...
Uke ne doit pas fuir tori, par exemple en reculant pendant l'attaque (s’assoir en saisissant, rester sur place en frappant, etc...), en tournant le corps, en enlevant la pression (par exemple, du coude, de l'épaule, ce qui revient à supprimer la connexion), etc... Repousser ou fuir sont les deux extrêmes d'une même logique, refuser la connexion. Uke doit continuer à s‘engager dans l'action à partir des pieds et des hanches et pas seulement avec les bras.
Uke ne doit pas s'accrocher au bras de tori pendant la réalisation de la technique. Uke ne doit pas changer son action au cours de la réalisation de la technique. Si les deux protagonistes changent, le résultat donnera immanquablement une pratique en opposition. Sauf exception, uke ne doit pas attaquer plus d'une fois.
2 - Exigences concernant le positionnement du corps
En mouvernent, pour que la connexion puisse perdurer pendant toute la durée de l'échange, uke doit garder un certain angle par rapport a tori. Il doit éviter de se retrouver de face par rapport à lui, et conserver la position hanmi. Une fois déséquilibré, il sera, soit en avant, soit en arriére. Nous pouvons dire qu‘il y a seulement deux positions fondamentales pendant la durée du déséquilibre, en avant (ex: ikkyo) et en arriere (ex: irimi nage) à partir de la position hanmi. Le corps doit garder une position basée sur le hanmi, mais du fait du déséquilibre, pour conserver la connexion, cette position doit tenir compte des trois dimensions. Tout en acceptant le déséquilibre, uke ne doit fuir dans aucune des trois dimensions de l'espace (la premiére, définie par le haut et le bas,la seconde, définie par la gauche et la droite, la troisième, définie par l'avant et l'arriere). Il faut donc considérer le corps dams l'espace comme un volume, ce qu'il est, bien évidemment.
Katate dori sokumen irimi | ||
Uke attaque avec le coprs entier. Au moment où tori agit sur le bras de uke, le corps de ce dernier est emmené si la connexion se prolonge. A partir de la position hanmi, déséquilibre vers l'extérieur et vers l'arrière. | Uke attaque avec le corps entier. Au moment où tori agit sur le bras d'uke, le corps de ce dernier est emmené si la connexion se prolonge. A partir de la position hanmi, déséquilibre vers l'extérieur et vers l'avant. | Uke attaque avec le corps entier. Au moment où tori agit sur le bras d'uke, le corps de ce dernier est emmené si la connexion se prolonge. A partir de la position hanmi, déséquilibre vers l'intérieur et vers l'avant. |
3 - Exigences concernant la manière de bouger tout le corps
Pour mettre en oeuvre le principe Aiki, tori doit utiliser d'une manière spécifique tout le corps dans sa globalité. Que signifie bouger tout le corps ? Si l'on pose la question aux pratiquants, l'immense majorite répondra qu'ils sont persuadés de bouger tout le corps. Ce qui est exact d'un point de vue profane, mais dans le cadre des arts martiaux en général, et surtout de l'Aiki, la manière de bouger est particuliére. Pour avoir une pratique enrichissante, il est nécessaire que uke, à l'instar de tori, utilise lui aussi tout le corps. Par example, sur men uchi ikkyo, si uke plie trop son bras au niveau du coude, lache l'épaule, se tourne, garde les deux pieds au sol, alors que tori a commencé d'exécuter ikkyo, cela signifie qu'il n'utilise pas le corps d'une manière globale, puisqu'une partie est déplacée par tori, quand une autre reste à la même place. Uke ne doit pas se contenter de saisir les bras de tori, mais, par l'intermédiaires de ses bras, se connecter avec la totalité de son corps. Une fois déséquilibré, uke ne doit pas s'échapper ou contrer l'action de tori. S'il le faisait, nous nous retrouverions dans une situation d'opposition. Il doit simplement garder le contact et rester présent. A tori de conserver la connexion et de l’utiliser au mieux.
Des possibilités de pratiques un peu différentes existent, mais sont seulernent possibles entre personnes expérimentées qui se connaissent trés bien, et me concernent qu'une infime minorité du monde de l'Aikido.
Je vous souhaite une bonne pratique.
Philippe Grangé
DRAGON MAGAZINE. Hors-série Aikido n°4